Hommage à Pierre Binetruy
La Présidence de l'université Paris Diderot, les directions de l'UFR Physique et du laboratoire APC, et l'ensemble de ses collègues ont la profonde tristesse de vous faire part du décès du professeur Pierre Binetruy.
Pierre Binétruy, né en 1955, a obtenu son doctorat d’état en 1980, sous la direction de Mary K. Gaillard, avec pour titre « Aspects théoriques et phénoménologiques des théories des jauges ». De 1979 à 1986 il a occupé plusieurs postes au CERN (fellow) et aux Etats Unis (Université de Californie à Berkeley, Université de Floride, Université de Chicago). En 1986, il fut recruté en tant que chargé de recherches au LAPP, Annecy-le-Vieux et 4 ans plus tard professeur à l'Université Paris XI au Laboratoire de Physique Théorique, où il est devenu professeur de classe exceptionnelle en 1999. Depuis 2003 il était professeur à l'Université Paris Diderot.
Ses principaux intérêts ont évolué de la physique des hautes énergies (notamment la supersymétrie) à la cosmologie et à la gravitation, et en particulier l’interface entre l’étude de l'Univers primordial et les théories des interactions fondamentales. Ses intérêts récents incluaient les modèles d'inflation, l'énergie sombre et les fonds cosmologiques d'ondes gravitationnelles. Durant sa carrière prolifique, il a publié des papiers séminaux qui ont approché les 1000 citations chacun. Pour sa recherche il a reçu plusieurs prix (Prix Thibaud, le prix Paul Langevin de la SFP, Miller Professor 1996 à Berkeley).
Il était un théoricien parmi les plus brillants de son temps. Mais sa mémoire restera aussi parce que, pour paraphraser André Malraux, il alliait « l’esprit et le courage », il savait qu’il ne faut pas seulement chercher la vérité scientifique mais aussi avoir le courage d’organiser la communauté en vue des buts scientifiques que cette vérité impose et également se battre au sein des institutions pour les défendre.
Les plus anciens se souviennent de l’ambiance intellectuelle extraordinaire qui animait le Groupement de Recherche (GDR) Supersymétrie qu’il a conçu et dirigé de 1997 à 2004, le transformant en un carrefour de rencontre sans précédent des expérimentateurs et théoriciens, creuset de plusieurs nouvelles idées tant de théorie que d’analyse expérimentale au tournant du siècle.
Il a eu aussi l’intuition centrale, pendant une époque où la détection des ondes gravitationnelles était pour plusieurs un rêve lointain (fin de 2005) d’impliquer la France à travers le CNES, dans le programme spatial de détection des ondes gravitationnelles, LisaPathfinder et Lisa. Un choix scientifique auquel il a consacré une grande partie de son dynamisme et ceci jusqu’aux et pendant les jours de son hospitalisation.
Les chercheurs et ingénieurs de l’APC se souviennent aussi de l’énergie et le dynamisme qu’il a mis pour la fondation du laboratoire Astroparticule et Cosmologie (APC) dès 1999, en suivant une incitation de Luc Valentin. Il fut le directeur de l’APC jusqu’en 2013. Il a accompagné cette entreprise originale de l’Université Paris Diderot et de l’IN2P3/CNRS, du CEA et de l’Observatoire de Paris, avec une inventivité inépuisable. On lui doit l’implication ferme du laboratoire dans le spatial, l’ouverture interdisciplinaire vers les Sciences de la Terre, la réalisation de l’importance des sciences des données avec le centre François Arago, la fondation avec le prix Nobel de Cosmologie, George Smoot, du Centre de Physique Cosmologique de Paris (PCCP) et l’immersion de l’APC dans un réseau mondial de centres équivalents (par exemple le Laboratoire International Associé avec KIPAC au SLAC, des relations avec l’Université de Chicago ou KIT de Helmholtz).
Il était aussi un professeur, qui a su inspirer des centaines d’étudiants, et à travers le MOOC Gravité, en collaboration avec G. Smoot, ses cours ont touché des milliers (75.000 inscrits). L’expression de gratitude des étudiants mais aussi de tous ceux qui l’ont suivi ont chauffé le cœur de Pierre mais aussi de nous, ses collègues. Ce MOOC était pour Pierre encore une avenue vers le futur, il n’y voyait pas un moyen simple d’améliorer la visibilité de l’Université mais une révolution dans la façon dont les connaissances sont diffusées, similaire à la révolution de Gutenberg, et cette révolution signifiait peut-être un nouveau type d’universités, et à travers elles de société et d’humanité.
En parallèle à ces activités, on n’a choisi que 4 paradigmatiques parmi une multitude, Pierre a trouvé le temps d’être président du Fundamental Physics Advisory Group (2008-2010) et du Fundamental Physics Roadmap Committee (2009-2010) de l'ESA ; du consortium français de la mission spatiale LISA ; de la Division Théorie de la Société Physique Française (1995-2003) ; de la section interdisciplinaire de l’Astroparticule (2003-2004), de la section théorie (2005-2008) du CNRS ; et directeur du fonds de dotation «Pour la recherche et la formation dans le domaine de la physique de l'univers».
Il fut également membre du comité scientifique de l'IN2P3 (1996-2000), du Scientific Advisory Commitee d’APPEC réunissant les agences de l’Astroparticule en Europe, du groupe de travail ApPIC de IUPAP (l’Union Internationale pour la Physique Pure et Appliquée) qu’il a aidé à faire naître en 2013 et dont il était un membre clef jusqu’aujourd’hui, de l’European Space Science Committee, du Comité de Programme Scientifique (SPC) du Laboratoire National SLAC (Stanford , Etats-Unis ), du comité d’évaluation de la feuille de route du DOE et du comité d'évaluation international de l'INFN (Italie) et NSERC (Canada). Finalement, ces dernières années, il a été membre du Conseil Scientifique du CNRS.
Cette activité poursuivie avec un enthousiasme et une rigueur sans faille, était accompagnée d’une grande culture et sophistication, une connaissance profonde des arts, où il a propulsé plusieurs actions entre art et sciences, et surtout une grande qualité humaine. Cette qualité a fait que la nouvelle de sa disparition a été vécue avec une grande tristesse à travers le monde.
Comme un de ses éminents collègues l’a dit de lui :
« Pierre était une de ces personnes très exceptionnelles qui était au sommet du jeu et, en même temps, un collègue remarquablement simple et agréable. »
La science française mais aussi européenne et mondiale a perdu un de ses praticiens exemplaires.