Formation des étoiles massives : le rôle sous-estimé du champ magnétique ?
Comment les étoiles massives (plus de dix masse solaires) se forment-elles ? Etant bien plus rares que les étoiles de plus faible masse, et souvent situées dans des régions denses, elles sont plus difficiles à observer. De ce fait, les processus associés à leur formation restent mystérieux, et la théorie de formation des étoiles de faible masse sert de première tentative de compréhension. Le rôle du champ magnétique dans la formation des étoiles de faible masse est essentiel. En effet, elles accrètent (i.e. attirent la matière environnante, qui vient alors augmenter leur masse) par un disque d’accrétion dont la taille, révélée notamment par le télescope spatial infrarouge Herschel et le réseau d’antennes millimétriques ALMA, est vraisemblablement régulée par le champ magnétique. Dans ces disques, la matière (un mélange de gaz et de poussière) est à l’équilibre entre la force gravitationnelle qui l’attire vers la proto-étoile et la force centrifuge qui l’en éloigne. Pour permettre l’accrétion, il faut donc ralentir la matière en rotation, c’est-à-dire qu’elle perde une partie de son moment cinétique, autrement conservé. Les éjections de matière sont des processus capables d’extraire ce moment cinétique et s’appuient théoriquement, là aussi, sur des effets magnétiques. Si ces éjections sont observées, les contraintes observationnelles ne permettent pas encore d’en connaître le mécanisme, en particulier autour des proto-étoiles massives. Troisième et dernier aspect dans lequel le champ magnétique pourrait jouer un rôle : les étoiles massives sont bien plus souvent par paires que les étoiles de faible masse, et il a été montré que le champ magnétique pouvait limiter la fragmentation du gaz et donc favoriser la formation d’étoiles isolées plutôt que de systèmes binaires. Ce sont ces trois questions : accrétion, éjection, et multiplicité, en présence de champ magnétique, qui ont guidé le travail de recherche suivant.
Ces dernières années, de grands progrès ont été effectués sur la modélisation des processus de couplage entre le champ magnétique et le mélange gaz-poussière composant le milieu interstellaire pour la formation des étoiles de faible masse et des disques protoplanétaires. Cependant, la modélisation détaillée de l’évolution du champ magnétique a longtemps joué un rôle secondaire dans la théorie de la formation des étoiles massives. En effet, les proto-étoiles massives rayonnant fortement (cent mille à un million de fois la luminosité solaire), la description du rayonnement et de son impact sur la dynamique du gaz environnant a plus souvent été intégrée aux études numériques que le champ magnétique. Il n’est donc pas clair si la force de radiation associée au rayonnement intense des proto-étoiles massives pourrait perturber les processus d’éjection de matière associés au champ magnétique, ou bien même être à l’origine des éjections observées.
Pour la première fois, une équipe d’astrophysiciens des laboratoires Astrophysique Instrumentation Modélisation (Université de Paris/CNRS/CEA) et du Centre de Recherche Astrophysique de Lyon (Université de Lyon/CNRS/ENS de Lyon) a résolu numériquement les équations couplées de la magnéto-hydrodynamique non-idéale (i.e. couplage partiel entre champ magnétique et fluide) et du transfert de rayonnement en distinguant le rayonnement UV émis par la proto-étoile du rayonnement infrarouge émis par la poussière pour suivre l’effondrement d’un nuage de gaz et la formation d’une proto-étoile massive. Se posait en particulier la question de l’origine magnétique ou radiative des éjections observées et des processus d’accrétion.
Grâce à son étude, faisant l’objet de trois articles publiés dans Astronomy & Astrophysics, l’équipe a montré l’origine magnétique des éjections, sur lesquelles le rayonnement n’a pas d’effet destructif, et un mode unique d’accrétion : l’accrétion par un disque, comme pour les étoiles de faible masse.
Enfin, ces simulations ont permis de mettre en lumière les effets antagonistes de la turbulence environnante et du champ magnétique sur la multiplicité du système formé : le champ magnétique favorise la formation d’un système disque-étoile isolé, tandis que la turbulence encourage la formation d'un système binaire par fragmentation dans le disque.
Plus d’informations dans :
1- Collapse of turbulent massive cores with ambipolar diffusion and hybrid radiative transfer. I. Accretion and multiplicity
Journal : A&A https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2021/08/aa40617-21.pdf
Auteurs : Mignon-Risse, R., González, M., Commerçon, B., Rosdahl, J.
2- Collapse of turbulent massive cores with ambipolar diffusion and hybrid radiative transfer. II. Outflows
Journal : A&A https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2021/12/aa41648-21.pdf
Auteurs : Mignon-Risse, R., González, M., Commerçon, B.
3- Discs and outflows in the early phases of massive star formation: Influence of magnetic fields and ambipolar diffusion
Journal : A&A https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2022/02/aa37479-20.pdf
Auteurs : Commerçon, B., González, M., Mignon-Risse, R., Hennebelle, P., Vaytet, N.